Davor Suker, Sukerman is on the building


Considérée comme l’âge d’or des purs avant-centres, la décennie 90 a vu s’illustrer une multitude de canonniers d’exception (Marco Van Basten, Jean-Pierre Papin, Jurgen Klinsmann, George Weah, Hristo Stoichkov, Gabriel Batistuta, Romario, Ronaldo, Alan Shearer…). Lorsqu’on évoque les meilleurs buteurs de cette période, peu nombreux sont ceux qui citent directement Davor Suker. Et pourtant, l’attaquant croate fut l’un des plus efficaces de son temps. Si sa légende fut plombée par une fin de carrière en eau de boudin, il n’en demeure pas moins un des meilleurs dans son registre durant son prime.


Davor Suker (à gauche) et Robert Prosinecki (à droite) avec la Yougoslavie U20.

Des débuts prometteurs

Né à Osijek (ex-Yougoslavie, actuelle Croatie) en 1968, Davor est le fils de l’athlète yougoslave Tomislav Suker, lanceur de poids émérite qui fut médaillé d’or de sa discipline aux Jeux Méditerranéens en 1967 et double champion national en 1967 et 1968. Sa mère Milka fut également une sportive de haut niveau. Dès son jeune âge, il montre des prédispositions pour le football et tape ses premiers ballons dans sa ville natale. Il finit par intégrer le grand club local, le NK Osijek, où il fait sa formation. Surclassé, il est intégré au groupe professionnel à seulement 17 ans et effectue ses grands débuts en première division yougoslave durant la saison 1985-1986 (10 matchs, 3 buts inscrits). Lors de l’exercice suivant, il s’impose et voit son temps de jeu augmenter (26 matchs, 9 buts). Ses bonnes performances lui valent ses premières sélections en équipe nationale U20. Il est retenu pour la coupe du monde de la catégorie en 1987 qu’il remporte aux côtés de Pedrag Mijatovic et de ses futurs coéquipiers en sélection croate (Robert Prosinecki, Zvonimir Boban, Robert Jarni et Igor Stimac). Auteur d’une dizaine de buts en 29 matchs, en 1987-1988, il intègre la sélection olympique et participe aux Jeux de Séoul (élimination au premier tour). Sa saison 1988-1989 est la plus aboutie. Il claque 18 buts en 26 apparitions et finit meilleur buteur du championnat yougoslave. Sur les tablettes des plus grand clubs du pays, il s’engage avec le Dinamo Zagreb à l’intersaison 1989.


La confirmation à Zagreb

Suker s’impose immédiatement au sein de sa nouvelle équipe. Pour sa première saison, il trouve 17 fois le chemin des filets (12 buts en championnat) mais le Dinamo Zagreb finit deuxième de la ligue, à onze points de l’Etoile Rouge Belgrade. Il prend également part à l’EURO Espoirs avec la sélection yougoslave terminant meilleur buteur de la compétition avec quatre réalisations. Malheureusement, la Yougoslavie s’incline en finale contre l’URSS. Qu’importe pour Suker qui est sélectionné pour la coupe du monde 1990. Toutefois, c’est le duo Darko PancevSafet Susic qui a les faveurs du sélectionneur Ivica Osim. Suker ne dispute pas la moindre minute du tournoi et ronge son frein sur le banc aux côtés d’Alen Boksic, son partenaire d’attaque chez les Espoirs. C’est finalement lors de l’exercice 1990-1991 qu’il honorera ses premières sélections. S’il ne parvient pas à prendre le dessus sur l’inamovible Pancev en pointe, il inscrit tout de même son premier but international durant la campagne de qualification de l’EURO 1992. Sa saison est une réussite (22 buts en 32 matchs de championnat) même si son club échoue une fois de plus dans la conquête du titre (deuxième à huit points de l’Etoile Rouge). Logiquement, il attire les convoitises des clubs étrangers. Les tensions politiques qui secouent le pays jouent dans sa décision de tenter sa chance à l’étranger.


La belle aventure sévillane

Suker s’engage finalement avec le FC Séville à la fin de l’été 1991. Il devra attendre le mois de novembre pour faire sa première apparition. Il ouvre son compteur-but dès sa première titularisation en inscrivant un doublé. Cette première saison sera celle de l’adaptation pour lui. Il ne marque six buts en 22 matchs. Les chamboulements politiques en Yougoslavie changent totalement la donne de sa carrière internationale. Déjà international croate (il avait disputé un match non-officiel avec cette sélection en 1990), il profite de l’indépendance de son pays pour rejoindre la toute nouvelle équipe nationale où il retrouve bon nombre d’ex-coéquipiers de la sélection yougoslave (Boban, Boksic, Prosinecki, Stimac, Jarni). Il en devient rapidement l’un des cadres même si la Croatie devra attendre 1994 pour enfin disputer des matchs officiels. Durant ce laps de temps, il s’impose à Séville et dispute deux saisons pleines (13 buts en 1992-1993 aux côtés de Diego Maradona puis 24 réalisations lors de l’exercice suivant, finissant deuxième du classement des buteurs derrière Romario). Malheureusement, Séville ne parvient pas à accrocher les places européennes et végète dans le ventre mou du championnat espagnol. La donne change enfin durant la saison 1994-1995. Il inscrit 17 buts en Liga (troisième au classement des buteurs derrière Ivan Zamorano [Real Madrid] et Meho Kodro [Real Sociedad]) et guide les Rojiblancos à la cinquième place du championnat, décrochant une qualification pour la coupe de l’UEFA. En sélection tout va pour le mieux. Il se montre particulièrement efficace durant les éliminatoires de l’EURO 1996 (12 buts inscrits). Annoncé partant, il finit par rempiler pour une cinquième saison avec le FC Séville. S’il goûte de nouveau à la coupe de l’UEFA, l’aventure s’arrête prématurément (élimination en seizième de finales par le FC Barcelone). En championnat, les Blanquirrojos finissent modestement douzièmes. Auteur de 16 buts en Liga (21 toutes compétitions confondues), Suker finit la saison frustré. Il peut heureusement compter sur la sélection pour retrouver le sourire. Durant l’été, il participe à l’EURO 1996 où il se montre brillant (trois buts en autant de rencontres disputées). La Croatie est éliminée en quarts par l’Allemagne mais Sukerman a fait forte impression durant le tournoi et est désormais convoité par les plus grands clubs.


Une expérience madrilène mitigée

Il rejoint un Real Madrid en pleine reconstruction durant l’intersaison 1996 (le club merengue n’était qualifié pour aucune coupe d’Europe cette saison-là). Bénéficiant de la confiance de Fabio Capello, il s’impose aux côtés de Raul et Mijatovic et réalise une première saison de toute beauté (24 buts en 38 rencontres de Liga, cinq en Copa del Rey) sanctionnée par un titre de champion, le premier de sa carrière, et une troisième place dans la course au pichichi (il est devancé par Ronaldo [FC Barcelone] et Alfonso [Betis Séville]). Moins prolifique en sélection, il n’en reste pas moins l’un de ses piliers. Sa seconde saison madrilène sera cependant moins aboutie. Capello est remplacé par Juup Heynckes sur le banc à l’orée de la saison 1997-1998. Ce dernier préfère accorder sa préférence à Fernando Morientes, réduisant le temps de jeu de Suker. Moins utilisé, il plante tout de même une dizaine de buts en Liga et marque quatre fois en Champions League. Le Real ne finit que quatrième du championnat mais parvient à remporter la coupe aux grandes oreilles. Remplaçant durant la finale, il n’entre en jeu qu’en toute fin de rencontre. Une fois de plus, la sélection sera sa bouffée d’oxygène. Il brille lors de la coupe du monde 1998 durant laquelle la Croatie finit troisième. Sukerman inscrit six buts durant le tournoi et termine meilleur buteur de la compétition. Il figure sans surprise dans l’équipe-type, est nommé deuxième meilleur joueur du tournoi derrière Ronaldo et finit deuxième du Ballon d’Or. Paradoxalement, ses bonnes performances ne changent pas son statut au Real Madrid désormais coaché par Guus Hiddink. Concurrencé par Morientes et Mijatovic, il voit son temps de jeu décliner et son efficacité s’étioler. Il ne joue que 19 matchs en championnat (quatre buts marqués) et ne brille pas davantage en Champions League (un seul but en six apparitions).


Relance manquée à Arsenal

Au sortir de cette saison frustrante, il décide de changer d’air et quitte l’Espagne après huit saisons. Il signe à Arsenal, orphelin de Nicolas Anelka (parti au Real Madrid) pour se relancer. S’il retrouve du temps de jeu dans un premier temps, il fait malheureusement les frais de l’explosion de Thierry Henry qui devient titulaire aux côtés de Dennis Bergkamp. Souvent remplaçant, il inscrit huit buts en 22 matchs de Premier League. Il prend également part à l’aventure européenne d’Arsenal. Eliminés de la Champions League, les Gunners sont reversés en Coupe de l’UEFA et parviennent à se hisser en finale (défaite contre Galatasaray aux tirs au buts). Sukerman ne marque que deux buts durant cette double campagne européenne. Pis, il manque son tir au but en finale de C3. En sélection, il vit une autre désillusion. Bien que n’ayant concédé qu’une seule défaite, la Croatie ne parvient pas à se qualifier pour l’EURO 2000 ne finissant que troisième derrière la Yougoslavie et l’Eire. A l’issue de cette saison difficile, Suker décide de quitter Arsenal. Il résilie son contrat et s’engage avec West Ham United à l’intersaison 2000.


Une fin de carrière compliquée  

Chez les Hammers, Sukerman désormais âgé de trente-deux ans doit faire face à une concurrence inattendue aux avant-postes (Paolo Di Canio, Frédéric Kanouté, Titi Camara, Paul Kitson et le jeune Jermaine Defoe). Malgré la présence de son compatriote Igor Stimac dans l’effectif, il ne parvient pas à s’acclimater surtout que la formation coachée par Harry Redknapp finit engluée dans le deuxième tiers du tableau. Suker joue très peu (onze apparitions, deux buts) et passe l’essentiel de la saison sur le banc. Il quitte le club dès l’intersaison 2001 et part découvrir la Bundesliga sous les couleurs du Munich 1860, le deuxième club de la ville. Il y restera deux saisons où il ne brillera pas outre-mesure (4 buts en 14 matchs pour sa première saison, un seul en 11 matchs lors de l’exercice suivant). Il prend également part à la coupe du monde 2002 (élimination dès la phase de poules), n’y disputant que 63 minutes. A la fin de la saison 2002-2003, il met un terme à sa carrière à 35 ans. En juillet 2012, il devient le président de la fédération croate de football. Il a quitté ses fonctions le 29 juillet 2021.   


Pur renard de surface, Suker était doté d’un sens du but des plus aiguisés et avait une capacité hors normes pour conclure les actions (240 buts en 527 matchs). Visionnaire pour l’époque, Il disposait d’une banque de vidéos de ses adversaires potentiels et étudiait dans le détail leur jeu avant de les affronter. S’il n’a connu qu’une seule saison faste dans un grand club, il est tout de même entré dans la légende pour ses performances en sélection. Ce n’est pas un hasard s’il fut nommé dans le top 100 des meilleurs joueurs du XXe siècle par le magazine World Soccer.

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